La partie "florale" de notre séjour prend (presque) fin.
Le petit déjeuner est robuste (cf. jour 2, 3, 4, etc...), dans le genre "pour travailleur manuel".
Un peu cher d'ailleurs, par rapport à ce que nous avons payé ailleurs. On ne gardera donc pas un souvenir impérissable de notre logement cette fois-ci.
Avant la sortie du village, on fait un stop "ravitaillement" dans une baraque assez improbable, qui nous a attiré l'oeil à coup de pancartes flashy et nous a intrigué par son drapeau français.
On pose donc la question au type proche de la retraite derrière le comptoir, sympa comme tout, qui tient la boutique. Il nous dit qu'il ne sait pas du tout pourquoi, qu'il l'a récupéré de l'ancien proprio mais qu'il n'est pas français du tout. En revanche, dit-il, je dois forcément avoir des ancêtres, parce que je m'appelle Du Randt.
Ca nous sera arrivé plusieurs fois dans le séjour: parmi la population blanche, une proportion respectable de personnes ont des origines françaises. Les Huguenots, ces protestants chassés par les dragonnades et la révocation de l'Edit de Nantes par Louis XIV, se sont installés dès l'origine des premiers comptoirs hollandais en Afrique du Sud, en même temps que les "Boers". S'ils étaient numériquement peu nombreux, ils étaient là dès le XVIIème siècle et aujourd'hui un quart des noms les plus courants en Afrique du Sud sont d'origine huguenote. Ils ont bien sûr importé le vin (du Lubéron, d'ailleurs) dont ils contrôlaient la fabrication et le commerce (jusqu'à aujourd'hui). Fin de la parenthèse.
Bref, on fait le plein de fruits séchés, qui sont un peu la grande affaire ici, d'eau, et on repart.
Pas très loin puisque juste à la sortie du village se trouve, sur la gauche de la route qui mène à Calvinia, la Nieuwoudtville Wildflower Reserve, qui est bien plus petite que ce qu'on pensait.
On est un peu en avance pour la floraison car il y a eu pas mal d'eau cette année sur le plateau et du coup moins de soleil. Quelques endroits sont tout de même assez fleuris, dans un genre très différent des jours précédents. Beaucoup de fleurs à très longue tige, qui ont une sale tendance à danser au vent, de sorte que c'est un casse-tête pour les prendre en photo (j'ai pas réussi, d'ailleurs). On tombe sur une dame qui nous donne quelques explications assez étonnantes.
Déjà elle nous dit qu'il faudrait revenir dans deux trois semaines et que là, on ne verra même plus le sol tellement il y aura de fleurs. Ca, ça m'énerve grave. Faire 10000 bornes pour se retrouver là 15 jours trop tôt, c'est frustrant. Bon, on imagine.
Ensuite, elle est ornithologue amateur et nous montre un oiseau vraiment drôle: pour faire sa cour, il pépie, s'envole à la verticale dans un bruit de "flap flap" très bizarre, pour attirer l'attention, puis se laisse tomber. On les observe un peu, c'est plutôt comique.
Elle nous a aussi montré un genre de furet qui ressemble à un suricate. On le voit, parfaitement dressé sur ses pattes arrières. Elle nous dit qu'il est de la même famille mais contrairement aux suricates, il est solitaire et très territorial (alors que les suricates se déplacent toujours en famille, un peu comme les Portugais).
On a passé nos journées dans le Namaqualand a guetter la présence des suricates, qui sont assez craintifs, discrets et bien camouflés, en vain. On en a été très déçus et on se contente donc de ce truc-ci.
Juste après, on voit un énorme lièvre traverser la réserve en faisant des bonds fantastiques. Géraldine veut absolument que je le prenne en photo, sans réaliser qu'il doit courir à au moins 60 à l'heure en faisant des écarts permanents. Aucune chance de le choper.
La dame dont j'ai oublié le nom nous dit pour terminer de nous énerver qu'on a raté le "meat festival" de Calvinia.
Calvinia, c'est ce bled vers lequel nous nous dirigeons justement. Une fois par an, c'est la fête, il y a des stands de bouffe partout dans la rue, et beaucoup d'agneau du Karoo, puisque c'est la spécialité de toute cette région où rien ne pousse d'autre que des moutons.
Et bien sûr, ça s'est terminé hier. On la maudit un peu parce qu'on l'aurait jamais su sans elle.
On prend la route, qui nous épate par sa beauté, entre ces massifs montagneux désertiques qui ressemblent un peu aux "mesas" du sud-ouest américain et les bas côtés de la route qui sont tapissés de fleurs multicolores.
Calvinia est un patelin bien perdu au milieu de rien. Il doit sa notoriété à ce qu'il est la seule petite ville du Hantam Karoo et donc sa "capitale", à sa boîte aux lettres géante (la plus grande du monde) et à sa fête qu'on a ratée.
A côté de ça, c'est un bourg commerçant qui rameute tous les gens des fermes de ce désert. On est dimanche et lendemain de fête, autant dire que ça sonne bien creux.
Il fait assez chaud, on n'imagine même pas ce que ça doit être en été, sachant qu'on est quand même à la fin de l'hiver.
On tourne et vire pour trouver quelque chose d'ouvert, tout paraît assez glauque. On voit deux tables dehors et un panneau "braai" qui nous attire l'oeil, on se dit, pourquoi pas.
On se gare sans le vouloir juste en face de la synagogue de Calvinia. Aujourd'hui, elle aussi a été transformée en lieu d'exposition. On n'en finit pas de se demander ce qu'ils sont venus foutre dans ce trou. L'explication est la même que pour Springbok, on imagine (voir quelques jours auparavant).
En fait, ce qu'on a pris pour un resto est une boucherie qui propose un peu de restauration sur place.
Forcément, on demande s'ils ont des côtelettes d'agneau, il faut qu'on goûte. On ne vous dit pas combien on a payé une assiette de côtelettes grillées au barbecue, servies à même l'assiette en carton.
Il faut reconnaître que quand ils se vantent d'avoir le meilleur agneau du monde, ils ne doivent pas être loin de la vérité. Pour quelqu'un qui n'est pas du tout un fan de cette viande, j'avoue que je me suis régalé. Il a un goût très spécial, qu'ils attribuent au fait qu'il mange des petits buissons du bush, souvent des herbes odoriférantes. Je ne peux pas le nier non plus, c'est Géraldine qui nettoie assiette et os.
Entre temps, on aura vu un peu de passage, ça nous fait une distraction. Des "colored" et quelques blancs qui viennent acheter de quoi faire leur braai du midi. Un gars qui a l'air bien amorti vient s'acheter une côtelette et s'assied pour la manger à côté de nous. Il ne fait pas très bien nourri. Du coup, on lui file notre assiette de coleslaw, auquel on n'a pas touché.
Il nous remercie d'un sourire un peu gêné.
C'est l'heure de redécoller. Fini la civilisation, le reste de la journée, ce sera du sauvage, de l'inhabité, de la route poussièreuse et une sensation de solitude parfois un poil envahissante.
De Calvinia, on doit rejoindre le parc du Tankwa Karoo. On loge ce soir dans la partie nord du parc, dans un lodge situé juste au-dessus du Gannaga Pass, le col qui mène du Tankwa, cette plaine désertique et brûlante au Roggeveld, le plateau qui la surplombe.
Quelques kilomètres après Calvinia, on quitte la route pour une piste qui est pour l'instant en bon état. Le paysage est fantastique, aride.
Middelpos, le prochain village, se situe à environ 80km de Calvinia. Entre les deux, une ferme et c'est à peu près tout.
Pas le moment de tomber en panne. Quoiqu'on croise de loin en loin une voiture.
Middelpos est ce qui ressemble le plus à un trou de tout ce qui prétend au titre de village.
Un patelin affreusement déprimant, même sous le soleil.
Une poste, un minuscule hôtel, un magasin, quelques baraques ici et là. Quelques villageois qui suintent la pauvreté et l'isolement. Un ou deux ânes.
Le tout desservi par deux pistes qui les mettent à minimum une heure et demie d'un autre lieu habité. Ils sont paraît-il 200 à vivre ici, on dirait qu'ils sont la moitié.
On nous avait assuré de la possibilité de prendre de l'essence avant les 200 km sans station service qui nous attendent mais en fait, on n'a même pas vu la pompe, ce qui nous fait nous réjouir d'avoir fait le plein avant.
On sort de ce village sans un regard en arrière et on prend la piste qui mène au parc. On ne croise plus personne depuis longtemps. La piste se dégrade assez vite: les pluies des derniers jours l'ont rendue boueuse.
On n'est plus qu'à 30 km du lodge mais on n'avance vraiment pas vite. On est obligé de s'arrêter une première fois pour dégager un chemin qui permette de contourner la piste, obstruée par une grosse flaque bien profonde.
On se dit être sorti d'affaire mais quelques kilomètres plus loin c'est pire. Le bas de caisse râcle la boue qui a séché sur le dessus dans un bruit affreux. C'est assez stressant, ça patine pas mal.
Et puis juste avant d'arriver, on ne sait plus comment avancer. Après une succession de flaques d'eau stagnante, la route est carrément inondée. Fatigués par l'heure qu'on a mise à parcourir les 20 derniers kilomètres et craignant de rester coincés au milieu de l'eau, on se demande quoi faire. On sort de la voiture pour tâter le terrain et là on ruine totalement nos pompes, aspirées par la boue. Je vous passe l'état de la bagnole quand on y remet les pieds. Entre la poussière et la boue, elle est méconnaissable.
Demi-tour? Pour aller où? Retour à Calvinia? Deux heures de route supplémentaires? Heureusement, on a notre appli magique, notre GPS gratuit et qui ne nous a jamais lâchés même au trou du cul du monde. Elle nous permet de savoir qu'on n'est vraiment plus très loin de l'arrivée. Ca nous rassure un peu, on se dit, au pire, on laisse la caisse ici, on termine à pieds et on revient la chercher avec eux.
Et puis finalement, pourquoi ne pas les appeler? On passe un coup de fil, gros coup de chance, on a du réseau! La fille qui prend l'appel se nomme Shawnay et elle a l'air désolé pour nous mais pas franchement surprise. "Ok, je vous envoie Johann". On est soulagé.
Johann, le propriétaire du lodge, se pointe en 4x4 avec un de ses employés. On discute un peu blabla et là, première voiture que l'on croise depuis 1h30, une AX déboule, grimpe à moitié sur le talus, le reste de la caisse dans la flotte et passe la flaque. On se regarde d'un air un peu gêné. Johann dit "ben on tente le coup alors". Je lui dis mollo quand même, c'est une voiture de location, hein.
Il prend le volant, patine, nous met dans l'eau jusqu'au bas de caisse mais finit par passer. Pfiou, je voyais ma caution s'envoler, là.
Il termine la route jusqu'au lodge en nous expliquant la fameuse technique pour vérifier la profondeur de l'eau en suivant le trajet des roues. Géraldine trouve ça trop cool et veut essayer à la prochaine occasion.
On l'aura, l'occasion puisqu'à ma question sur l'état de la route qui mène au col, Johann sourit et me répond: c'est pire.
Il m'avoue avoir eu 4 appels au secours depuis hier, de la part de clients dans notre situation. Dans le lot, il y avait même des 4x4, restés embourbés.
Il nous explique qu'en fait sur ce plateau, c'est un régime de pluies hivernales. En hiver, dès qu'il y a de la pluie, c'est le carnage, les routes sont dégueulasses. Le printemps arrive, la sécheresse avec, les pistes sont refaites et c'est du billard.
Mais quelques kilomètres plus bas, dans le Tankwa (à moins de 5 km, hein), c'est un régime de pluie d'été: moins de 20mm d'eau en 8 mois puis des orages en été (où il peut faire plus de 50°C quand même), qui transforment les pistes aujourd'hui poussiéreuses en bourbiers innommables.
On est accueillis au lodge par Shawnay, qu'on remercie chaudement. Elle nous mène à notre logement, c'est très joli, on commence à papoter, elle est vraiment cool.
Avant de ressortir profiter du coucher de soleil au col, on commande notre dîner: agneau à tous les étages.
Effectivement, sur la fin du plateau qui mène au col, Johann n'avait pas menti, la route est inondée à plusieurs endroits. Géraldine teste donc la méthode sud-africaine, et ça marche. L'eau est gelée et bien boueuse donc elle perd rapidement le sourire. D'autant plus qu'il faut être bien prudent, à un pas d'écart, c'est le drame, la profondeur n'est plus du tout la même. Elle manque une ou deux fois de se vautrer mais c'est une bonne expérience. Plus loin on observe quelques babouins qui nous jettent un regard toujours blasé.
Au col, c'est un autre problème de conduite: des cailloux très tranchants, des virages étroits, c'est pas les Champs-Elysées. On s'arrête à un passage dégagé pour prendre des photos, c'est très beau, le plateau d'un côté, la plaine de l'autre et partout le désert. Pas une habitation, pas une voiture, le silence, rien.
Enfin, le silence...Tout d'un coup, on entend des hurlements continus, des babouins sont en train de s'étriper juste derrière, hors de notre champ de vision. Le bruit est terrifiant. Comme ce sont quand même des bestiaux assez balèzes, grands et pourvus de quenottes qui foutent la honte au chien le mieux équipé, on bat en retraite vers la bagnole. De toute façon, il faut quand même qu'on rentre avant la nuit noire parce qu'aucune envie de faire la traversée de l'eau à la lumière des phares.
Grâce à ma mémoire surhumaine et aux traces de pneus dans la boue, je localise les passages qu'on a empruntés à l'aller aisément et on rentre tranquille, en serrant à peine les fesses.
Avant de manger, apéro au bar, avec wifi. On s'arsouille gentiment tout en bavassant avec Shawnay, une fille de 20 ans qui veut faire du management d'hôtels son métier. On rigole bien.
Dehors, au loin sur la piste, une nouvelle voiture est coincée dans l'eau. C'est un "bakkie", dans le jargon afrikans, un pick-up de l'administration du parc. Johann s'en amuse: "Je vois leurs phares, là, mais je vais les laisser mariner un peu". En fait, ils sont en panne de moteur et passeront toute la soirée au lodge en attendant les rangers.
On passe en salle, le repas est excellent. On a évité la tête de mouton, qui est paraît-il délicieuse, "croustillante à l'extérieur et crémeuse à l'intérieur" (smiley qui tourne de l'oeil). On a du mal à croire Shawnay quand elle nous dit que c'est "plutôt un plat de filles" mais dans la foulée, à la table à côté (seules 3 sont occupées), une gamine de 10 ans a commandé le plat et une des serveuses nous la montre. Glups.
Tout est très bon, on se régale. Le dîner terminé, on retourne au bar et on passe une partie de la nuit à picoler en discutant avec Johann, qui est un sacré phénomène ultra bavard et avec une bonne descente.
Sa famille est installée à cet endroit depuis des générations de fermiers afrikaners. Lui n'était pas du tout attiré par la vie de fermier et a revendu à d'autres toutes les 7 fermes familiales, ne conservant que 20 hectares sur lesquels il a fait bâtir ce lodge, "pour s'amuser".
Il n'a pas fait ça toute sa vie, il a vu le monde, a bossé dans la joaillerie à Johannesburg et maintenant, il est content d'accueillir les voyageurs.
Il nous raconte plein de choses sur le climat, la mentalité, l'histoire de cette région perdue. Sur l'identité du parc national du Tankwa Karoo, tournée vers la botanique et les plantes. Sur la difficulté de la vie ici pour les fermiers. Sur les dégâts causés au bétail par les léopards de montagne. Tout ce que j'aime.
A un moment, la fatigue se fait quand même sentir. Quelques photos du ciel du Karoo et il est temps d'aller dormir avant une journée qui s'annonce longue.
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